( 1 février, 2010 )

Notre patois n’a pas droit de mensonge

Merci à ceux qui ont réagi au précèdent billet :image14.jpg  Le moulin de Virolet  et particulièrement à la phrase : [..Pour  peu ,  les conditions de vie des cultivateurs  de l’époque en deviendraient enviables…..] qui semble  avoir surpris .
 Ce n’est pas la première fois que je fustige (Célestin le fustigeant), nos auteurs historiques et bien plus sur le fond que sur la forme .  En effet , à ma pauvre connaissance, seul Goulebenéze s’est essayé ( avec quelques bonheurs ) à décrire, en patois, le quotidien des roturiers de notre province aux temps même ou notre langue était la seule forme d’expression  qui  leur soit accessible.  La vie de Mélina la veuscouette  d’Evariste Poitevin ,  est bien loin des clichés qui donnent envie de dire : Voila mes ancêtres. Leur vie est ma culture . Voici mes géniteurs . Beaucoup aimeraient de plus flatteuses origines .
 Dans le tableau brossé de Mélina,  se voient surtout l’abnégation , la grandeur de l’âme et du coeur et autres fières qualités que nous prendrons, sommes toutes, à notre compte et sans rougir aucunement . Nos autres folkloristes patoisants de la fin du dix-huitième siècle  et ceux  du début  dix-neuvième, n’avaient aucune intention de plaire à la roture, ni de l’intéresser :  elle ne savait qu’à peine  lire . Ils cherchaient surtout à briller dans les cercles des bourgeois engraissés le plus souvent par la révolution . Ils se sont donc emparés du langage des ces » petites gens » qui pullulaient et s’activaient autour d’eux pour leur confort, s’illuminant ainsi  d’auréoles populistes de très belle allure, mais se gardant de décrire l’ineffable condition dans laquelle ils les maintenaient .
D’autres hommes plus rigoureux , l’ont pourtant fait sans se donner la gloriole d’un bilinguisme pédant : Nous savons , par eux seuls ,  que le pain  du cultivateur charentais des années 1800 – 1820 n’est, le plus souvent qu’un mélange de froment , seigle, orge et maïs . ( Et non d’ine farine aussi bianche que dau lait) . Ce pain est l’essentiel  de leur nourriture avec des bouillies de maïs ,  quelques légumes , très peu de lard et de laitage.  Le travailleur aux champs fait son dîner  de ce pain sec (et sec a ici tout son sens) frotté d’ail.  N’attendez rien de plus… c’est tout. Pour le soir, encore le  même pain , en soupe  . Le roturier se trouve heureux quand il peut assaisonner le frugal repas avec de la piquette ou du revin . L’intérieur de sa maison est décrite  comme image9.jpgn’étant éclairé que par de petites lucarnes sans vitres et fermées par un volet et  une porte ouverte tout le jour . L’observateur d’alors explique que cette manière d’exister est une suite de la misère et des usages des cultivateurs . Ceux de Confolens n’ont qu’une maison basse et étroite, d’une seule pièce sans lucarne avec quelques mauvais meubles et  quelques lits pour le sommeil d’une famille de huit et souvent dix « individus » , et de conclure , la malpropreté fait presque toujours , de cet affreux réduit , un séjour d’infection.  
Le laboureur s’habille de serge ou de droguet ordinairement de couleur grise , il porte un gilet ou deux , une veste sans parement, des culottes sans boucle ni bretelles. La paire de sabots ferrés qui pèse cinq ou six livres ( 3 kg) est la seule chaussure . Les hommes ont les cheveux coupés courts et en rond alors que  dans les communes de Dordogne et de Haute Vienne les cheveux sont longs et flottants.  Les idiomes  saintongeais , poitevin et  limousin sont en ces années là, décrits comme respectivement parlés par une masse considérable de la population  charentaise qui est comptée  , en 1806, à 326.885 habitants vivants en 72.500 feux.
 Les enfants sont soumis de bonne heure à des travaux forcés qui , avec la malpropreté , les rendent faibles et languissants. Le plus souvent pâles et fluets , un grand nombre se trouve pourtant boursouflés de visage et gros de ventre . Ce n’est qu’autour de 18-20 ans qu’ils se développent,  mais un très grand nombre restent de bien triste constitution . Dans l’arrondissement de Cognac , les hommes sont petits, rabougris et parfois mal conformés . On attribue cette dégradation à la culture de la vigne et du maïs , laquelle emploie les hommes ( et les femmes sans doute) dès l’âge de douze ans  , travaillant au pic , donc toujours courbés .
Il est souvent reprochés  un « défaut » à la plus grande partie d’entre les charentais , c’est de n’avoir aucune espèce de sentiments religieux . Ils apportent , dans le culte, l’indifférence la plus complète , ne viennent au service divin que pour y rencontrer les gens de leurs affaires, n’approchent que bien peu les sacrements, ne faisant célébrer leurs mariages et leurs baptêmes, que par l’état civil . Certains , à qui restent quelques croyances, ont des prières dénaturées qu’ ils récitent en leur patois : « Dieu l’a faite, je la dis – j’ai trouvé quatre anges couchés dans mon lit – deux à la tête , deux aux pieds et le bon dieu au milieu » etc… pour terminer par  : Saint Luc et Saint Mathieu qui mettez les âmes au repos , mettez -y la mienne si dieu veut! « 

Elles sont bien lointaines les images d’Epinal de nos patoisants historiques, tout comme les fières paysannes de  Julien Dupré de cette illustration , à l’allure si magistrale et à la tenue si altière  . Nombre  d’amateurs qui se croyaient d’aussi fringantes origines auront peut être quelques réticences à citer maintenant  leurs racines . Pour moi, je n’en voudrais pas d’autres, j’en suis fier et jaloux !  Je suis de cette roture , je l’affirme et j’en défends l’histoire , la langue et l’esprit  .

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